Le récit d’anticipation d’une ancienne san-priote…
De ma naissance jusqu’à mes 25 ans, j’ai vécu dans une maison qui jouxte le champ tant convoité par VINCI pour son projet de shunt. Chaque jour, à la fenêtre de ma chambre, je goûtais au bonheur d’admirer le soleil se lever sur cette grande parcelle, encore préservée de la frénésie bétonnière des Hommes. Saison après saison, année après année, la joie d’un paysage changeant : le brun de la terre labourée, le vert tendre des jeunes plants, le jaune flamboyant des fleurs de colza ou de tournesol… Un air qu’on avait envie de respirer à pleins poumons… Je pense aux enfants qui me succèdent ou me succèderont dans le lotissement de mon enfance. Je les imagine accoudés à la fenêtre de leur chambre, façonnant leur imaginaire et leur attention au monde, au contact du peu de verdure que « les grands » auront bien voulu leur laisser. Hélas, leur rêverie aura tôt fait d’être interrompue par un parent. Je n’ai aucun mal à me figurer la scène…
- Ferme cette fenêtre, bon sang, tu vas attraper la mort !
- Mais Maman, c’est le premier jour de l’été, aujourd’hui. Je ne risque pas d’attraper froid !
- Froid non, mais la mort, oui !
- Mais Maman, à la télé, ils disent que c’est important d’aérer sa maison tous les jours.
- Oui, mais chez nous, c’est différent.
- On n’a pas de pollution à l’intérieur, nous ?
- Si, mais à choisir entre la pollution intérieure et la pollution extérieure, je préfère celle qui ne fait pas de bruit.
- Mais pourtant tu as dit l’autre jour que la pollution causée par le shunt était un mal silencieux.
- Oui, mais non… En fait, le shunt est bruyant, mais ses effets sur notre santé sont silencieux.
- … Je comprends rien.
- Cela signifie qu’il n’y pas d’effets soudains ni spectaculaires sur notre santé, mais qu’à la longue, en toute discrétion, toutes les petites particules fines qu’on respire en permanence font du mal à notre corps.
- Ah bon… Bah si c’est ça, je crois que je préfère arrêter de respirer.
- Cesse de dire des bêtises et prépare-toi ou tu vas être en retard à l’école. Et n’oublie pas de mettre ta Ventoline dans ton cartable !
Aujourd’hui, je pense à tous les « petits nouveaux » du lotissement de mon enfance, arrivés pour certains il y a moins de dix ans, voire moins de deux. Comme mes parents à la fin des années 80, ces nouveaux propriétaires ont une trentaine d’années, la quarantaine tout au plus. Ces jeunes actifs ont souvent mis tout ou partie de leurs économies et de leurs espoirs dans cette acquisition. Nul n’ignore que l’achat d’une maison constitue parfois le « projet d’une vie », a fortiori dans la proche banlieue de Lyon, où le prix exorbitant de l’immobilier suppose bien souvent un emprunt de longue durée et parfois, de nombreux sacrifices à côté.
Je pense à toutes les personnes pour qui Saint-Priest est apparue comme le bon compromis pour accéder à un peu de verdure et de tranquillité, le tout « sans s’éloigner trop du boulot ». Quelle désillusion…
Je pense à toutes celles et ceux qui ont passé des décennies à prendre soin de leur maison, à la valoriser, et qui verraient demain leur bien complètement dévalué.
Je pense à toutes celles et ceux qui risquent d’endurer les multiples nuisances du shunt. Des nuisances à court et moyen termes sur leur santé mentale, des nuisances à long terme sur leur santé physique…
Je pense à toutes celles et ceux qui, à défaut de pouvoir déménager, se sentiraient coupables d’exposer leurs enfants et petits-enfants aux effets délétères du nœud de Manissieux.
Je pense à mes parents, qui se sont toujours préoccupés de ma santé et de mon bien-être, et à qui j’aimerais bien pouvoir aujourd’hui renvoyer l’ascenseur, leur offrant l’assurance de mon soutien dans la lutte contre le shunt.
Je pense à tous les enfants d’aujourd’hui et de demain qui pourraient ne pas connaître le bonheur de refaire le monde, accoudés à la fenêtre de leur chambre. Un monde qu’il leur faudra pourtant entièrement reconstruire, quand « les grands » auront cessé de le détruire.
- Ferme cette fenêtre, bon sang, tu vas attraper la mort !
- Mais Maman, c’est le premier jour de l’été, aujourd’hui. Je ne risque pas d’attraper froid !
- Froid non, mais la mort, oui !
- Mais Maman, à la télé, ils disent que c’est important d’aérer sa maison tous les jours.
- Oui, mais chez nous, c’est différent.
- On n’a pas de pollution à l’intérieur, nous ?
- Si, mais à choisir entre la pollution intérieure et la pollution extérieure, je préfère celle qui ne fait pas de bruit.
- Mais pourtant tu as dit l’autre jour que la pollution causée par le shunt était un mal silencieux.
- Oui, mais non… En fait, le shunt est bruyant, mais ses effets sur notre santé sont silencieux.
- … Je comprends rien.
- Cela signifie qu’il n’y pas d’effets soudains ni spectaculaires sur notre santé, mais qu’à la longue, en toute discrétion, toutes les petites particules fines qu’on respire en permanence font du mal à notre corps.
- Ah bon… Bah si c’est ça, je crois que je préfère arrêter de respirer.
- Cesse de dire des bêtises et prépare-toi ou tu vas être en retard à l’école. Et n’oublie pas de mettre ta Ventoline dans ton cartable !
Aujourd’hui, je pense à tous les « petits nouveaux » du lotissement de mon enfance, arrivés pour certains il y a moins de dix ans, voire moins de deux. Comme mes parents à la fin des années 80, ces nouveaux propriétaires ont une trentaine d’années, la quarantaine tout au plus. Ces jeunes actifs ont souvent mis tout ou partie de leurs économies et de leurs espoirs dans cette acquisition. Nul n’ignore que l’achat d’une maison constitue parfois le « projet d’une vie », a fortiori dans la proche banlieue de Lyon, où le prix exorbitant de l’immobilier suppose bien souvent un emprunt de longue durée et parfois, de nombreux sacrifices à côté.
Je pense à toutes les personnes pour qui Saint-Priest est apparue comme le bon compromis pour accéder à un peu de verdure et de tranquillité, le tout « sans s’éloigner trop du boulot ». Quelle désillusion…
Je pense à toutes celles et ceux qui ont passé des décennies à prendre soin de leur maison, à la valoriser, et qui verraient demain leur bien complètement dévalué.
Je pense à toutes celles et ceux qui risquent d’endurer les multiples nuisances du shunt. Des nuisances à court et moyen termes sur leur santé mentale, des nuisances à long terme sur leur santé physique…
Je pense à toutes celles et ceux qui, à défaut de pouvoir déménager, se sentiraient coupables d’exposer leurs enfants et petits-enfants aux effets délétères du nœud de Manissieux.
Je pense à mes parents, qui se sont toujours préoccupés de ma santé et de mon bien-être, et à qui j’aimerais bien pouvoir aujourd’hui renvoyer l’ascenseur, leur offrant l’assurance de mon soutien dans la lutte contre le shunt.
Je pense à tous les enfants d’aujourd’hui et de demain qui pourraient ne pas connaître le bonheur de refaire le monde, accoudés à la fenêtre de leur chambre. Un monde qu’il leur faudra pourtant entièrement reconstruire, quand « les grands » auront cessé de le détruire.